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Bonjour à tous et à toutes…

 

Reporté deux fois pour cause de confinement, notre congrès se déroule aujourd’hui, samedi 18 septembre, journée du patrimoine (certain disent aujourd’hui, du “Matrimoine“). Je trouve que cela tombe très bien pour parler de Mézières, qui par certains côtés est un monument !

Malheureusement je n’aurai pas le temps de vous faire visiter l’ensemble de ce monument (40 ans de recherche et de transmission / 35 ans de pratique en ce qui me concerne) en 20 mn.

On dit qu’un bon article ne contient qu’une idée.

L’idée que je voulais défendre aujourd’hui est que l’originalité de la Méthode Mézières résidait aussi dans l’originalité de son enseignement.

 

Mézières a ouvert une brèche dans sa propre pensée de « classique » comme elle disait, lors de son observation princeps de 1947 tant et tant de fois racontée.

Son regard en même temps que sa compréhension se sont transformés complètement. Elle ne voyait plus et ne pouvait plus voir une cyphose, ou une lordose, ou quoi que ce soit, mais le lien structurel qui sous-tend les lignes du corps.

Elle nous a fait profiter de cette brèche dans la pensée et dans la pratique kinésithérapique qui étaient alors extrêmement morcelant et symptomatique.

À la fin de nos devoirs de synthèse je me souviens qu’on disait « remettre dans la globalité ». Remettre dans la globalité ça disait bien à quel point on en était sorti de la globalité. Mézières ne nous remettait pas dans la globalité, puisqu’elle ne nous en enlevait pas ! On était d’emblée dedans.

 

Donc l’originalité de la méthode a résidé aussi dans un enseignement qui nous a donné le moyen de sortir du morcellement.

Je me souviens très bien de la première fois qu’on a fait un bilan. Ça m’a fait vraiment un choc, parce que c’était la première fois qu’on regardait comme ça. On voyait un corps. Un corps debout. Une cohérence. Ce qu’on regardait c’était COMMENT c’était organisé. Et ce qu’elle nous faisait comprendre c’était que le patient était en train d’entretenir activement cette position. Qu’il était en train de prendre appui sur ses compensations pour se tenir comme ça.

 

 

Elle expliquait très peu de choses. Ce qu’elle nous disait c’était : observe, regarde, comprends, pose-toi des questions, affine ton toucher, et ça a formé sur la durée une pensée très particulière qui est une pensée de la forme. Nous avons appris à pénétrer et à comprendre la logique de la forme.

La pensée de la forme est extrêmement éloignée de la pensée du langage… Visualiser en 3D un corps qui se modifie par un mouvement spiroïdal c’est une chose. Le décrire c’en est une autre.

Ça explique pourquoi elle ne pouvait pas nous transmettre sa méthode de façon analytique.

On ne décrit pas une forme à partir d’un bord, ou d’un angle

 

La forme d’un corps a des caractéristiques particulières. On est tous fais avec les mêmes éléments, agencés de la même manière. Os, articulations, muscles (à quelques anomalies : lombalisation, sacralisations, hémi-sacralisation, Paries de côtes surnuméraires… et quelques particularités morphologiques : formes du bassin plus ou moins haut, plus ou moins ouvert, sacrum positionné plus ou moins en avant.)

Donc avec les mêmes données et une organisation optimum n s’attend à voir ça : Un Dieu ! Un demi-Dieu, un athlète un “parangon“… et dans nos cabinets on voit ça : Quelqu’un !

C’était réellement déboussolant au début, parce qu’on était plongé d’emblée dans la complexité et qu’elle ne nous facilitait pas la tâche en nous la faisant voir par morceaux.

 

Chercher, se poser des questions, ne pas s’en tenir à ce que l’on sait, se demander pourquoi.

 

Mézières nous a formés un peu comme des artisans, et en même temps un peu comme des artistes. Dans le sens qu’elle nous demandait de travailler avec notre propre compréhension, notre propre main, notre propre sensibilité, notre intuition. De ne jamais singer un geste.

Elle ne l’a jamais formulé comme ça mais ce qui émanait de son enseignement c’était que soigner est un art.

 

 

Elle nous a transmis :

L’art d’observer 

Quand on sait on ne voit plus vraiment. Mais quand on découvre, on se pose des tas de questions…. L’esprit de recherche commençait par une “hygiène du regard“. On ne regardait pas pour vérifier ce que l’on savait déjà, mais pour comprendre ce qu’on ne savait pas encore. L’expérience nous apprend que l’essentiel de ce que nous cherchons nous ne pouvons pas le voir au premier regard.

Et à chaque séance, même si on a un bilan premier, à chaque séance, on ré observe. Le bilan premier on y revient.

*Qu’est-ce qu’on regarde et qu’est-ce qu’on note ? : Les axes, les appuis, les aplombs, les rotations….

On sait que

*La personne qui a une épaule pus haute, la tête penchée etc…, c’est rare qu’elle se sente tordue. Son système nerveux a appris à considérer cette position de base comme “droite“ et c’est à partir de là que le “pilote automatique“ va calculer le mouvement pour conserver équilibre et harmonie.

Ce qu’on va chercher à faire c’est à modifier, ne serait-ce qu’un tout petit peu cette référence intérieure pour qu’au lieu de dire à la personne : « tiens-toi droit », ce soit le corps qui dise à la personne : « tiens-moi correctement ». … et c’est ce qui arrive ! Mais ce n’est pas de la tarte !

 

L‘art de penser la forme :

 

L’art de voir et de percevoir et de concevoir à la fois :

 

L’art du dialogue 

 

….

On ne va malheureusement pas pouvoir visiter toutes les pièces de ce monument qui a la structure dynamique d’une pensée en marche…

Mais, comme Mézières le faisait, dès le début, et sans que l’on ait encore les moyens de tout comprendre, de nous plonger dans le cœur du travail.

Je vais essayer avec vous d’aller dans le vif pour vous montrer les aspects qui me semblent les plus particuliers et plus beaux….

Sa méthode

 

L’art de respecter le temps nécessaire : Le grand art !

Pendant les séances : la mise en tension peut être longue, par nature, toujours un peu plus longue que le patient le voudrait. Il y a toujours une forme de butée, de résistance, qui est le signe du travail sur la structure. Quand on a recours à l’apprentissage, ou à l’adaptation, on fait appel à la répétition. Par contre, quand on travaille à modifier ce qui sous-tend le mouvement, ce qui est notre cas on va à l’encontre de l’adaptation. Ça nécessite d’aller au-delà des automatismes, notamment, par la durée. Le muscle se fatigue. On va légèrement au-delà de sa fatigue. Il tremble, il crampe. On ne s’en tient pas là. On tente de calmer le jeu, mais on va au-delà. Avec une fermeté bienveillante. On accueille ce qui vient, ce qui se manifeste. Ce qui parfois surprend. C’est le moment où le « corps à corps avec le patient » est le plus évident, parce que d’une certaine façon c’est nous qui prenons momentanément la commande pour aider notre patient à passer le cap. Pour l’aider à aller au-delà d’une certaine résistance, d’un certain interdit inconscient du corps à aller au-delà. Et ça demande forcément du temps.

Entre les séances : il y a un temps d’intégration. Ça peut prendre deux ou trois jours. Il n’y a rien à faire de particulier. Il faut que la modification obtenue s’inscrive dans le « pilote automatique. » On demande au patient de ne pas en faire trop. De ne pas utiliser son mieux être à faire du rangement ou du sport immédiatement

Ce sont des traitements longs. Durables, fiables sur la durée. Ce qu’on a mis en place on n’a pas à revenir dessus, on n’a pas besoin d’entretien, mais c’est long.

Après le traitement : il faut encore prendre son temps le meilleur n’est pas toujours immédiat

 

Qu’est-ce qu’une compensation ?

Pour ne pas être perturbé dans ses nombreuses et complexes tâches le système nerveux va obéir de façon involontaire à deux règles : « on continue de fonctionner », « on évite la douleur ». Il y a toujours de multiples manières de s’y prendre pour une finalité donnée. On compense dès lors que volontairement, et le plus souvent involontairement, on va prendre un moyen détourné pour arriver à une finalité.

Réflexe antalgique à priori fait partie des joyaux de la pensée de Mézières. C’est un réflexe antalgique qui s’installe avant que la douleur ne se manifeste. On se défend d’une douleur que l’on n’a pas eu le temps de ressentir. Le message douloureux a été pris de vitesse par le système de défenses (de survie) et nous a fait nous adapter avant que nous ne le percevions. Inutile d’en trouver une trace mémorielle donc, mais on peut déduire de la forme du corps l’endroit où celui-ci se défend, sans avoir besoin d’en connaître la raison. Nous savons que le corps ne se déforme pas pour rien.

 

Une compensation, on l’a compris, c’est fait pour nous faciliter la vie. Du moins à court terme. Parce que c’est forcément couteux et limitant à plus longue échéance.

Le corps va s’adapter aux contraintes imposées par la nouvelle position et ça devient forcément problématique à la longue.

Quand on travaille, On ouvre de vieux dossiers ; on travaille sur ces douleurs occultées. Et on les soigne, on les soulage. Le plus souvent avec des techniques simples : lâche prise, massage profond, expiration profonde… Le plus difficile n’est pas de les soigner, mais de trouver où elles sont, et c’est ça tout l’intérêt de la méthode Mézières.

 

L’art et la manière de travailler avec le système neuro-végétatif.

Très tôt Mézières a eu l’intuition du rôle du système neuro-végétatf.

Le neurovégétatif, c’est ce système qui gère la survie, ou on peut dire aussi, dans le meilleur des cas, la vie. Ce système vital c’est aussi lui qui a les clefs du tonus. Donc il va falloir qu’on collabore avec lui.

Ce n’est pas un système qui s’éduque au sens propre, c’est un système qui s’apprivoise.

Je vous rappelle, chose assez fascinante pour un Méziériste, que la chaine ganglionnaire du système sympathique se situe sur la face antéro-latérale des corps vertébraux, derrière la chaine antérieure du cou, et derrière le psoas, au niveau dorsal, au niveau des articulations costaud-vertébrales.

Je pense qu’on n’en a pas fini de trouver des choses en cherchant à cet endroit…

En tant qu’il s’occupe de la survie, s’il n’y a pas cet état de confiance le neuro-végétatif va se braquer contre nous, on n’obtiendra rien, même si on fait des gestes justes, si quelque part le patient à un moment donné se dit : elle me fait mal, peut-être qu’elle ne comprend pas ce qu’il se passe, ça va le bloquer, ça ne va pas marcher.

Mais l’avantage, en tant que système lié à l’homéostasie, c’est que c’est un système qui va chercher à avoir une stabilité, ce qui fait que quand on modifie quelque chose sur ce système-là, cette chose-là est stable. Une fois qu’une information est passée, elle reste, comme si elle avait toujours été là.

 

L’art et la manière de libérer des tensions inutiles : c’est le cœur de notre travail

Une tension se déplace. Mézières disait que « Les lordoses se déplacent come un anneau sur une tringle ». Pour résoudre une tension inutile, il faut travailler sur l’ensemble de la chaine, et traquer les compensations, notamment, comme elle l’avait remarqué, en rotation interne des ceintures et en blocage inspiratoire.

 

Pour revenir à la manière qu’avait Mézières de nous former : on regardait un patient, on faisait des tests, on disait : « qu’est-ce qu’il se passe quand… » « qu’est-ce qu’il se passe, quand on tourne la tête ? » Ce n’est pas quelque chose que je devais “savoir“, évidement, « qu’est-ce qu’il se passe quand je tourne la tête » Qu’est-ce qu’il se passe ? » Et bien on regarde. Untel va lever l’épaule, l’autre va tourner le thorax… On va partir de ce qu’on observe. On part toujours de ce qu’on observe et on garde en tête comment « ça doit être » C’est dans ce différentiel entre : comment c’est et comment je suppose que ça devrait être que se fait notre travail. C’est-à-dire qu’on va mettre le corps en tension d’une certaine façon, pas n’importe laquelle, il y a la question du dosage, ni trop ni trop peu, il y a la question de déformer, mais pas au point où la déformation reste. C’est une mise en tension ACTIVE. Même s’il ne peut pas agir, le patient doit commander son mouvement exactement comme s’il le pouvait. Avec ni plus ni moins de force que s’il pouvait bouger, que s’il n’était pas bloqué par la posture qu’on lui impose.

On crée un confit local. C’est-à-dire qu’on demande au muscle une chose et son contraire : On le met dans une position où tu ne peux pas travailler et on lui demande de travailler. Le muscle répond — non. On insiste. ­— Non ! — Je te demande ça. NON ! Et finalement, si on mène la mise en tension de la posture avec assez de doigté, le corps finit par répondre ­— d’accord, je ne peux pas, mais si je change autre chose ailleurs, ça va pouvoir se faire. Et c’est cette AUTRE CHOSE AILLEURS qui nous intéresse. Et ça va donner une marge de liberté qu’on va récupérer à l’endroit où on est en train de travailler. Cette autre chose ailleurs, c’est le neuro-végétatif qui le débusque, qui le cherche. On n’a pas besoin, nous, ni notre patient de savoir où est-ce que ça bloque. On met en tension et AU FUR ET À MESURE on va voir… Au fur et à mesure ! On n’a pas d’idées d’avance. On n’a pas besoin d’être omniscient. D’être super puissant, et d’avoir une idée sur tout. On n’a qu’à observer et faire confiance au système.

On corrige un bras et on voit que le pied bouge ! Ok, d’accord. On termine ça et on sait qu’après on ira voir ce pied. On corrige le pied… et on constate que le diaphragme bloque… On va voir qu’est-ce qu’il se passe. ON SUIT. Au fur et à mesure.

Ce « Au fur et à mesure » est une notion centrale dans notre travail, il ne faut pas l’oublier. Et il faut pouvoir le défendre. Dans un contexte où on nous demande de plus en plus de justifier de ce qu’on va faire par avance ; de dire : je vais faire ceci, ceci, cela…  

On peut avoir une idée de ce qu’on a envie de questionner dans un corps. De par là où on a envie de passer. Mais il faudra toujours vérifier dans le travail si c’est probant ou non. On a souvent des idées qui nous semblent bonnes et qui ne portent pas de fruits… Dans ce cas on tâtonne, on continue d’explorer, on cherche “une voie d’abord“.

Il FAUT se souvenir que l’essentiel on le sait QUAND ÇA LACHE. Où est-ce que ça bloquait ? Et bien on le saura quand ça aura lâché. On se dira : ah, c’était ça ! C’était donc ça. Ou c’était encore ça ! Ça surprend presque toujours, mais c’est rarement insignifiant.  Et c’est rarement une seule chose. Souvent les problématiques que l’on a à soigner sont complexes. Quand un problème est simple, on le contourne, on ne va pas chez le kiné…

Donc c’était ça, oui mais il y a encore autre chose. Et dans chaque chose il y a une histoire. Et cette histoire a une logique propre à la personne. On n’a pas besoin de la connaître d’avance. C’est l’histoire de : Là il y a eu un traumatisme, là il y a une douleur, là il y a eu un blocage… C’est l’histoire du corps, et l’histoire du corps, c’est aussi l’histoire du vécu du corps. Du vécu de la personne, du contexte dans lequel à été vécu ceci ou cela. Ce n’est pas le corps dans l’absolu. C’est le corps de cette personne. Là. Avec laquelle on est en train de travailler.

 

 

Pour terminer je résumerais en disant que La normalisation de la morphologie n’est, à de rares exceptions près, pas une fin en soi. Travailler la forme est un moyen d’aborder d’une façon relativement simple la complexité du corps et de collaborer avec lui pour débusquer et soigner ce qui le limite de façon cachée.

 

Merci aux organisateurs de m’avoir donné ce moment et cette liberté de parole.