06 38 66 97 74 untapisdepoesie@live.fr

Pouce noir

Lettre ouverte à M. Gérard Cosme, maire du Pré Saint-Gervais

Au Pré, les 11, 12, 13 mars 2016

Les occasions de fierté ne sont pas si nombreuses ; et la fierté elle-même est plus importante sans doute que l’objet de la fierté.

Elle parle de relations.

Il faut savoir l’honorer.

Pour recueillir quelque chose de librement issu du monde sauvage dans le monde civilisé il faut de la patience et de la bienveillance.

Ce qui est exemplaire ici dans l’expérience vécue ensemble au Pouce vert, c’est la capacité de s’approprier un lieu de façon collective. Cela répond à un besoin profond. Nous avons besoin d’être acteurs de nos vies. Nous avons besoin d’être ensemble, et non d’être gavés (gratuitement ou non) comme des enfants ou des consommateurs gâtés et exigeants.

Je voulais, je voudrais que la rue soit à nous. Cette ville à taille humaine est une chance rare de l’expérimenter.

Au Pré Saint Gervais on aime bien ça : le petit territoire qui a son identité, son autonomie, qui se gère avec le moins de lourdeurs possible, le moins d’intermédiaires. C’est ce qui fait notre spécificité, notre identité.

Au jardin partagé aussi. Avec un territoire plus petit et une autorité plus restreinte on goûte une autonomie plus grande. Plantes et humains ont leur place.

Un petit territoire dans un petit territoire, comme des poupées gigognes, comme une cellule où s’essaye et se trouve un nouvel art de vivre ensemble, prêt à se disséminer, à faire des émules, à donner des rejetons. Lui même inspiré d’ailleurs, et non pas né de rien.

Que diriez-vous Monsieur le Maire, si une autorité supérieure (l’état ou la région) dirigeait votre territoire au point de le détruire au profit d’un autre projet, fut-il bon ?

C’est ce que nous ressentons.

Le Pouce vert, vous le savez, ne survivra pas à sa transplantation.

Mais l’esprit du jardin doit être préservé, et le savoir acquis ici doit pouvoir perdurer.

Or les fascicules que nous avons à distribuer pour « Faites le printemps » ressemblent à de la propagande. Cela m’attriste. Il n’est fait mention à aucun endroit de ce qui a été sacrifié. Qui faisait pourtant hommage à notre ville. À notre citoyenneté. Nous avons plaidé pour la grenouille qui en est le fleuron. La part que vous lui faite dans prévoir comme sublime concession fait profondément injure à la liberté qu’elle représente. Celle d’une nature qui nous fait la grâce de reprendre ses droits lorsqu’on lui laisse un peu de champs libre. Avec ce génie qu’elle a de nous charmer, de nous surprendre, de nous encourager à prendre soin d’elle.

Je doute, Monsieur le Maire, que la liberté acquise de cultiver ensemble, ce « champs libre », ne se trouve jamais dans le petit lopin que vous lui accordez, ni que vous trouviez comme « référent écologique » une perle rare comme il s’en présentait spontanément au jardin partagé.

Il est manifeste pour chacun d’entre nous qu’un chapitre est maintenant clos.

Cher Monsieur Gérard Cosme,

J’ai assisté à la réunion du Pouce vert où était présent votre directeur de cabinet. Il y a tenu des propos de non recevoir d’une rare violence, allant jusqu’à arguer que seule sa parole avait un poids car il était élu alors que nous non. Nous étions nombreux à ne pas savoir comment ne pas sortir de nos gonds. Il était sourd à tout. Un mur de béton brut se serait mieux prêté.

Ce soir là, en même temps que le jardin, c’est l’esprit de ce petit territoire que nous voulions défendre. Cet esprit de partage qui a été piétiné comme s’il s’agissait, de notre part, d’un caprice, et que lui seul était capable d’évaluer et de rétablir les valeurs vraies du monde.

Jamais de ma vie je n’ai entendu parler pareille langue de bois que dans la bouche de votre directeur de cabinet. Une langue opaque et sourde qui manipule et déracine.

Cher Monsieur Gérard Cosme,

Je ne peux pas vivre sans poésie. C’est comme de manquer d’air. Ce n’est pas une question de « poumons », c’est une question de cellules qui, avec lui, se renouvellent, qui ont besoin de respirer.

Le Pouce vert est, a été, et je crains ne sera plus jamais un lieu de poésie. Difficile de l’imaginer quand on n’en franchit pas les portes.

La magie est dedans. Elle ne paye pas de mine mais exerce son charme dès la porte passée. C’est un jardin qui ne pavane pas. Mais qui vit. Et à l’intérieur duquel nous avons été nombreux à nous être ressourcés.

Le Tapis de Poésie, membre de ce lieu tellement porteur, y a fait des lectures partagées, organisées, ou improvisées… Il y a, il y a eu de vrais et de nombreux moments de magie. Je ne suis pas la seule à en témoigner.

Dans cette réunion funeste (décembre 2015) beaucoup étaient venus le faire. Maitresse d’école de Pantin qui y amenait ses élèves année après année, spécialiste en jardins partagé et d’autres, ont témoignés, du dehors, de sa valeur et de son unicité… Aucun n’a été entendu. Pourquoi ?

Cher Monsieur Gérard Cosme, en tant que maire du Pré Saint Gervais je vous tiens responsable de ce qui a été fait au Pouce. Et surtout je vous tiens grief de la mascarade de participation démocratique avec laquelle vous avez taché de faire passer une décision qui, de toute évidence, était déjà prise depuis longtemps.

La double page de Prévoir m’a remis hier un tour à l’estomac. À croire que la politique est une question de communication !

Je ne veux pas le croire. Je garde mes illusions. On dit que les poètes sont des rêveurs. Soit. Qu’ils voient plus loin que les apparences. Tant mieux.

J’ai envie de dire : Bienvenue à ces 49 familles ! Puissent-elles jouir de l’esprit du Pouce et vivre sur ce lieu la convivialité qu’il nous a été donné de cultiver. Alors la mort du Pouce n’aurait pas été vaine.

Une chose encore, un désidérata. Un testament poétique.

Puisque café il y a, l’espace est prévu, et dégagé sur un espace libre, pourquoi n’en profiterions- nous pas pour y aménager un bar associatif comme ça commence à se voir ici ou là. L’esprit du Pouce trouverait à y investir sa belle énergie, pourvu qu’il y ait la place pour que l’on y cultive la fantaisie, l’inventivité, le naturel qui nous manque tant en ville et qui est encore l’apanage du Pré.

Qu’on ne soit pas tentés de dire que vous êtes le promoteur et maire du Béton-Saint-Gervais.

Un dernier voeu avant de clore, comme dans les contes de fées ; puisse le Pré Saint-Gervais, ville qui aime et attire les artistes, leur faire meilleur accueil en envisageant d’aménager, ou de bâtir, comme cela s’est fait en d’autres temps, des ateliers logements à des prix modérés.

En vous priant de croire au désir sincère que je manifeste ici de demeurer fière de l’endroit où je vis et de pouvoir y prendre part.

Delphine Backer