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Quand la galopade de nos mains s’est mise à frapper comme des tambours nos peaux, j’ai entendu les sabots de la langue déferler et j’ai reconnu les chevaux de Pégase. Ils arrivaient et ils étaient nombreux à devenir matière à la manière de l’eau : une explosion d’atomes ! Je me souviens aussi que les mots avaient les yeux ouverts et qu’ils étaient curieux, ils avaient des regards pleins de questions –et ils parlaient avec leurs yeux- Rien, dans le monde végétal, me disais-je, n’est prémédité. C’est ce qui en fait la candeur. Aucune ruse. Alors j’ai commencé à lire le parchemin intérieur comme s’il se déroulait sous mes yeux de ténèbres. Sous mes yeux d’endormie. L’autre Janus avait les yeux ouverts, et sous la couverture lisait derrière ma tête à la lumière de la lampe. Tout cela était vécu à moitié comme un rêve, à moitié comme un oracle, mais ce n’était, je m’en souviens, qu’un jeu d’enfant oublié, sorti tel quel des poubelles de l’esprit avec toute la fantaisie, c’est à dire aussi capable des plus grandes gravités.

Les mots avaient des regards juste sortis des cavernes. J’étais un arbre qui avait déjà beaucoup pleuré et la mémoire du temps se délivrait pêle-mêle. Je cherchais à témoigner comme au travers de sortes de miroirs magiques. On ne se reconnaissait que par ce qu’on était : âme reconnue par l’âme et esprit par l’esprit. Textes sacrés ; Maîtres-es-réalité.

La Langue de l’inconscient est la langue de nos viscères, je l’ai enfin compris. « Notre deuxième cerveau », comme disent ceux qui ignorent à quel point il est premier, parle à travers nous une langue d’images et de sons, reconnaissable entre toutes à ses raccourcis et ses fulgurances, pour nous dire tout net ses vérités ; celles qui sortent sans blesser de la bouche des enfants et des fous.

Pas besoin d’être fou cependant pour l’entendre résonner. Il suffit de savoir ouvrir et fermer de l’intérieur cette grande paupière de la conscience.

Entendre parler cette langue viscérale qui au départ ne s’articule pas mais grogne ou chante. La langue des voyants. La langue des –à bon entendeurs, salut !- la langue des initiés et des initiations, La langue. Qui n’opère qu’à corps consentant.

Centre primitif, centre intérieur, le cerveau du ventre n’a pas de mémoire. Il vit dans l’instant, et vivant dans l’instant il est contemporain de l’éternité. Il ne conjugue pas ses verbes. Comme la langue chinoise il distingue seulement l’accompli de l’inaccompli, et toutes les personnes sont en lui confondues.

Quand il parle, il ne fait pas la distinction entre celui qui exprime de celui qui écoute. Il est comme antérieur à l’élaboration du moi et postérieur à sa destruction. Il confond les générations.

Nous avons tranché partout au couteau taoïste, qui sépare sans couper dans les chairs, l’imaginaire de la réalité, comme on désosse les membranes du moi.
Quel soulagement. Tout coulisse de façon appropriée et sûre, pour pouvoir utiliser le registre choisi et approprié. Du plus drôle au plus grave : nous pouvons désormais parler de tout. Rapprocher pour dissocier. Joindre pour libérer. Faire glisser les couches. Physiques et mentales, s’entend. Laisser à l’air libre ce qui a été enfoui.

Parler, en nommant ce que l’on vit, ce que l’on voit, ce que l’on consent, ce que l’on conçoit, en se laissant faire par l’imagination.

Ainsi donc, je parle avec Sa voix. Je veux dire, La Voix du Vent : quelle prétention de vouloir la lui emprunter mais je Souffle. Je veux dire : Il souffle en moi. Au moyen d’images qui se créent et s’effacent comme des rides à la surface de l’eau.

La surface de l’eau c’est moi tandis que je suis en train de me baigner dans ce Léthé d’oubli. Â mes amis, quelle chimie ! Si vous saviez ! Nous sommes en train d’inventer une manière de créer de la chaleur qui n’est pas le feu ; car le feu diffuse et irradie et que cette chaleur là condense. Connaissez-vous quelque chose de dense et qui ne soit pas froid ?

Du vide. Condensé. De la pierre en fusion. Je connais cela. Mes mains brûlantes avant de naître, gonflées comme si elles n’étaient pas soumises à la pression : en train de croître. Mains, orteils, cou : pris de lévitée.

La matière du vent : voilà la réalité que nous représentons. La matière du souffle et du son.

Étonnante alchimie où les choses en s’alliant deviennent contraire sans être opposées.

Il n’y aura pas de photos de ce mariage là. À moins qu’il n’imprègne la rétine du monde.

L’âme parle le langage « du silence et de la douleur » pour reprendre les mots de Blaga Dimitrova.

Elle craint la trahison de ceux qui l’on entendue puis reniée.

Je parle pour la défendre.

Nous avons une responsabilité collective.
« Dieu » loge dans nos viscères. Il nous parle sa langue en tout cas, qui est la langue de la création, que nous comprenons sans doute en naissant, et même avant que nous ne soyons au monde.

Chacun de nous lorsque nous sommes sortis de l’enfance, pour nous cacher de « Dieu » avons appris à parler une langue qu’il ne comprend pas. Une langue « intelligible » et chiffrée, administrative, intéressée, fausse.

Nous avons à répondre de ce crime collectif, nous, qui sous couvert d’instruction obligatoire enseignons à nos enfants une langue qui ne parle pas au monde.

Les choses les plus longues à mûrir sont les choses les plus belles. Elles ne sont pas forcées mais portées depuis longtemps par l’espoir, par le travail et par la prière. Faites de longues patiences elles viennent s’offrir à nous.

La vie charrie dans mon sang un torrent boueux de mot. Peut-être qu’à défaut de les digérer je les vomis, que c’est ça que veux dire « remonter à la source » comme du vin trop abondant vous repasse par le gosier.

Le vent peut souffler n’importe où.

On ne paye pas le vent à rester. On lui laisse sa place pour qu’il puisse le faire. Et puis, progressivement, on joue avec lui.

On commence à jouer.

« Topoguide de spéléophonie »

Delphine Backer