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Le vendredi 6 novembre

Écrits le matin au contact des oeuvres, retravaillés l’après-midi, lus le soir au vernissage de l’expo …. au moment de mettre en ligne côte à côte les textes et les oeuvres qui les ont inspirés, je mesure la nécessité de les remettre dans la perspective dans laquelle ils ont été produits.

Répondant à l’invitation de Rachel et Jonathan Vaughan, de réagir tels que nous étions, artistes, croyants ou non, et quelque soit notre religion, autour de textes bibliques choisis pour se questionner sur l’identité humaine, mes textes sont venus en regard d’oeuvres qui étaient elles mêmes travaillées par la lecture de ces textes bibliques qui nous avaient été proposés.

« Depuis plusieurs décennies, pouvait-on lire dans la brochure,  l’ouverture de lieux alternatifs d’exposition a élargi les perspectives de l’art contemporain auxquelles étaient ainsi offerts des espaces de liberté créative hors de la spéculation (galeries) et de la collection (musées). »

« L’espace de liberté » donné par Rachel et Jonathan Vaughan n’est pas un vain mot. Il a créé une dynamique collective qui m’a permis de me risquer. Merci, ici à tout ceux qui y ont contribué.

D. Backer

Pour Sergiu Zancu
Sergiu Zancu Tentation S  – Acrylique sur toile – casque-audio Écouter le texte 

Tentation

 

Dieu était au commencement du monde

sous la forme d’un souffle

Peut-on lire les traces du vent si on n’a pas d’oreille ?

et goûter la saveur de l’eau si on n’a pas de langue ?

Voici l’état de l’homme avant son premier questionnement.

Un corps qui a si peu la forme d’un corps à force d’être, comme une bouteille, ouvert

Peut-on voir un parfum avec les yeux ?

Il en est ainsi de l’homme, propose le tableau,

et de Dieu aussi, probablement :

nous n’avons pas encore forgé en nous le sens qui puisse nous permettre de le saisir complètement.

Pour Amalfi Rendon Zipagauta
Amalfi Rendon ZipagautaYo soy semilla floreciente cosmica   – Peinture à l’huile – casque-audio Écouter le texte 

Premier regard

 

Le premier, c’est le regard. Il vient à la rencontre comme la gourde au sortir du désert

première réponse à la question que l’on ne pose pas :

tu es là, à présent

autant que je suis là

Le premier regard est aimant et il apprend à reconnaître le visage d’où il provient

Amour teinté de regret, amour teinté d’inquiétude, amour teinté de surprise, amour teinté de joie, le premier regard est comme il vient, il ne se commande pas.

Je sais, je crois savoir, je touche ce verre à moitié vide où mon âme bascule qui n’a pas bientôt fini de m’emplir de nouveau d’une infinie tendresse pour notre humanité.

Pour Vincent Faou
Vincent FaouDé peindre   – Encre de Chine et Lavis –casque-audio Écouter le texte 

Cher Vincent

 

On voit que le premier nom est tendresse posée et qu’il faut tant de temps au regard pour l’admiration que nous serons de vieux enfants avant d’avoir fini de prononcer le premier nom des choses

Je me souviens qu’avant d’être une caresse le premier nom est un baiser.

Je me souviens comme tu t’en doutes d’avoir voulu moi aussi apprivoiser des grenouilles et des criquets, toutes sortes de bestiaux et bestioles rampantes, sautantes et frétillantes comme mon cɶur d’enfant et je n’étais pas seule à jouer à ce jeu.

Il y  avait le ruisseau, le soleil, les cailloux et tous les ricochets et la montagne nous appelait et nous demandait : grimpe !

Le temps a passé en retenant son souffle et rien n’est épuisé de l’émerveillement

Je vois bien comment l’homme retient son souffle et que le monde l’éclaire

Il ne souffle pas, il est en train d’humer

Encore, depuis toujours, à sa première inspiration

Il respire la lumière et n’a pas peur de l’ombre.

Pour Caroline Biaggi
Caroline Biaggi

 

 

 

Eden

– Encre et acrylique sur Arche, marouflé sur châssis – casque-audio Écouter le texte 

Le livre des heures

Au sixième jour Dieu nous a fait un étrange cadeau : celui de la domination.

La question est toujours celle-là : responsabilité et pouvoir. Qu’est-ce que veut dire dominer pour nous ?

Si nous sommes faits de même terre, de même limon, de même boue, puisse l’amour dominer en nous : cette impuissance à faire le mal tout en ne l’acceptant pas.

Pour Agnès Loire
Agnès Loire

 

 

Point de vue – Technique mixte sur papier marouflé – casque-audio Écouter le texte 

Sommes deux

 

Sommes un fait de deux

l’un vide et l’autre plein

l’un présent et l’autre absent

l’un désir et l’autre comblé

nous n’avons pas à être séparés

ni à être départagés puisque nous sommes successivement

jour et nuit d’un même rêve

vie et mort d’un même souffle

matin et soir d’un même jour

un œil

ni  ouvert ni fermé puisqu’il n’a pas encore vu la lumière

un œil qui se nomme désir de réciprocité.

De voir et d’être vu,

de toucher et d’être touché,

d’aimer et d’être aimé

auquel il manque encore et forcément toujours la troisième personne, la troisième  position, le verbe au transitif, la forme pronominale qui nous permet de dialoguer :

se voir, se toucher, s’aimer

qui nous permet de jouer notre rôle sur le théâtre du monde

place publique, scène du Globe, cercle de la parole, visage de la mère qui contemple l’enfant

le point aveugle peut se mettre à parler :

notre troisième œil est une sorte de bouche

il voit ce qu’il dit.

Absence, souffrance et doute,

Rien n’a le mot dernier.

Pour Cécile Rossmann
 Ceìcile Rossemann « Nous sommes… » – Technique mixte – casque-audio Écouter le texte 

Triptyque

 

Je suis,

je ne suis pas, nous sommes,

nous ne sommes pas,

une vitrine, une déclaration,

un sac, tous dans le même sac,

un slogan, une provocation,

une idée,

mais trois posées l’une à côté de l’autre pour pouvoir échapper à la dualité

sachant qu’aucun de nos actes ne pourra être effacé

afin que l’homme se révèle être un

homme.

Pour Pascale Razavet
 Pascale Razavet

 

Têtes heureuses – Trois sculptures en terre cuite – casque-audio Écouter le texte

Trois têtes

 

La surface lisse de sa peau m’invite

à ne pas avoir peur

du contact d’autrui

même froid, même mort.

Nous représentons des gardes, des guerriers, des hommes

Capables d’être assujettis

Nous faisons partie de l’humanité au titre de sujets

Nous représentons le peuple des humbles, des petits

Et face à nous vous êtes comme des enfants face aux jouets qu’ils animent de leurs propres sentiments, de leurs propres paroles et de ce qu’ils ont vu.

Si vos têtes creuses avaient la taille d’un masque

je le revêtirais

et  paré de ce masque, mon corps pourrait parler.

Pour Desmaz

SAMSUNG

Des Expressionistes aux Gueules cassées

– 6 gravures sur bois et 6 collages –

casque-audio Écouter le texte 

Quatre

 

 

4 pour les chinois est le chiffre de la mort : « si » (prononcer : ce)

question d’homophonie. Mais pas seulement. Au quatrième jour Dieu créa les astres.

Et les désastres s’ensuivirent.

Le monde est rempli de beauté et d’horreur. De promesses non tenues. L’impact des comètes laisse dans nos bouches ouvertes des formes de cratères à l’image de ce que nous avons vu ; de ce que nous avons su, de ce que nous avons fait : de ce dont nous sommes acteurs ou témoins.

Oserons-nous témoigner ?

Qui voudrait nous entendre ?

On aime la mort respectable et polie

celle que l’on peut maintenir à distance

les morts vivants ne sortent pas de l’ombre pour demander vengeance

Même pas.

La vengeance est un luxe dont on use pour survivre.

Ils sont brûlés par la brûlure, ils sont brûlants. On ne peut pas les toucher.

Comme si au paradis se mettait à couler quatre rivières de sang après que l’homme ahuri ait décacheté le sceau de ses secrets

Une bombe

Comme si le sol du paradis était truffé de mines.

Pour Solange Jungers

Solange Jungers (détail)

Chère amie

– Broderie sur drap ancien montée sur châssis casque-audio Écouter le texte 

Chère amie,

 

ma mère est morte

ma robe est déchirée

quelque chose ressemble à la paix de l’univers quand il est sorti,

aux premiers jours, du chaos.

Je sais que je faisais écran

je le sais à présent que j’ai rompu mon manteau de chair et que crève la poche des eaux

et je sais une promesse qui se nomme : accepter.

Chère amie,

je ne suis pas en deuil

je suis ressuscitée

ma mère n’est pas morte puisqu’elle est transformée

je te le dis dans le silence

que tu le conçoives dans ta pensée,

tranquillement,

Chère amie,

je voudrais te dire que j’ai les pieds sur terre

que j’ai la tête ailleurs

que j’ai le coeur bien accroché et que je suis en vie.

J’ai mis, et tu le vois, dans ma poche intérieure

un missel des dimanches que ma mère m’a donné

Ne t’inquiète pas pour moi

le monde est encore beau.

Pour Olivier Cans

Olivier Cans musicien

Le musicien – Mini-installation – casque-audio Écouter le texte 

Petits bonhommes

 

Et voilà qu’ici je me sens invitée à me mettre à genoux devant ces petits bonshommes qui sont comme trois allégories formant une seule énigme que je dois essayer de déchiffrer à l’envers car je sais à l’inverse d’Œdipe à la croisée des chemins face au sphinx que la réponse est : l’Homme.

Il faut que je décrypte la question posée en trois mots seulement : l’artiste, le peintre, le musicien.

Je propose ceci :

« En quoi l’homme est-il nommé à l’image de Dieu ? »

En tant qu’il crée

Et j’ai envie de poursuivre, puisque la création manifestement n’est pas terminée, et non plus la créature que nous sommes.

Pour Damiel Pype

Zom

Transparence de lêtre – Photographie noir et blanc – casque-audio Écouter le texte 

Zombie

 

Myriam,

Posant dans la posture de David sculpté par Michel Ange

Cachant la pierre dans la main

Ses yeux ont dit : oui, je le peux, je le ferai pour toi si tu me le demandes,

je le ferai telle que je suis. Guerrier/guerrière à ma façon. Je m’élèverai contre plus grand que moi et pas contre plus petit. Je suis capable de regarder en face dans l’ombre et de ne pas me dérober.

Pour Julie Blouin

Julie Blouin

Sans titre – Technique: plâtre, apprêt à dorer, Peinture glycérophtallique brillante casque-audio Écouter le texte

Et j’oubliais ce drapeau rouge,

qu’une idée ne meurt pas, qu’une promesse ne meurt pas,

qu’un avenir peut demeurer fidèle.

J’oubliais le bois mort qui fait partie de moi

par grâce partagée

avec l’exactitude de nos poumons

J’oubliais

qu’un peu d’espoir redonne vie à tout

J’oubliais de dire

à quel point ce sceau rouge ressemble à notre nom

Pour signer d’une couleur

à la manière de Dieu.