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Je pense

à l’impuissance de la parole face au pouvoir de la vue

quand on se trouve devant deux réalités distinctes

et qu’on ne croit qu’à ce qu’on voit

J’y pense avec chagrin

Je pense à l’incapacité qu’on a de se défendre quand on est accusé à tort à cet endroit

quand on est jugé d’après les apparences

lorsqu’on n’a pas cherché à nous comprendre, ou à comprendre ce qu’on vivait.

D.B.

Expo L’invisible

Exposition d’arts plastiques et poésie
Pour la cinquième année consécutive à l’initiative de l’église protestante évangélique du Pré Saint Gervais, une douzaine d’artistes de toutes confessions, croyants ou non, seront réunis pour un dialogue fructueux; cette année avec pour fil rouge : L’invisible.

Vernissage vendredi 9 novembre à 19 h30

À la question de l’invisible, j’ai eu envie de répondre par la parole enregistrée. Une voix que l’on entend mais que l’on ne voit pas. Quoi que la question reste un peu biaisée : l’essentiel invisible, est indicible aussi, impensable, il nous échappe. Et en même temps il nous touche, fondamentalement…

Atelier d’écriture Samedi 10 novembre de 10h30à13h

Je vous invite aussi à participer à l’atelier d’écriture que j’animerai samedi matin : on parle, on écrit, on lit, on écoute, on dit… Je vous invite à un voyage avec l’invisible pour guide et pour boussole le dictionnaire. Chacun s’il le désire pourra écrire dans sa langue. (Donc amenez vos dictionnaires anglais, arabe, roumain ou japonais… Vos cahiers, vos crayons, seront aussi bienvenus.)

Adresse

9, avenue Jean-Jaurès, 93310 Le Pré Saint Gervais 
Bus 61, métro Mairie des Lilas ou Église de Pantin.
Pour Ali Haddar

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Ici, au centre de la beauté fraîche, nous sommes invités à nous déchausser

Devant la source de ce qui est vivant

Ici, s’en remettre à ce que nous pouvons à notre tour déposer pour que la vie soit jouvence

Chaque fois que nous dénouons nos lacets, chaque fois que nous ôtons nos sandales, chaque fois que nous nous lavons les pieds de cette façon là nos accomplissons un acte sacré.

La nature vive doit être chaque jour renouvelée. Comme la prière.

J’entends d’ici le bruit de la fontaine qui répare les blessures faites à toute terre déboisée, à toute forêt privée d’oiseaux. Et cette couronne de lauriers verts, plutôt que de raconter une histoire de victoire me parle plutôt d’une promesse sur le point d’être renouvelée.

Chaque soulier pourrait recueillir nos larmes.

Il y a ici une sève païenne qui me met dans une joie profonde parce qu’elle me dit que la nature me précède et qu’elle me succèdera.

Ici s’impose plus que la force d’une parole celle d’un acte de réparation qui ignore royalement la laideur du monde en la transformant en offrande, en joyau.

Je m’y retrouve devant comme devant un fleuve qui coule et qui demeure, où je lave mes vêtements

Toutes les plantes que nous connaissons sont natives du paradis. — du paradis où nous avons mis nos pieds nus et vers lequel nous retournons va-nu-pieds—

 

 

 

 

Pour Cécile Rossmann

 

Cecile R

 J’écris pour contempler

Reflet du reflet

Miroir du miroir

Toute la délicatesse d’une lumière posée où les absents ne font que passer
La douceur est toujours là

Jour après jour, toujours après toujours se superposent les reflets

Le miroir brisé parle d’une certaine manière dont les choses ont volé en éclat sous l’impact d’un choc

Des continents à la dérive ne font pas d’avantage ni mieux

Prendre le temps de pénétrer. De vivre. Étape par étape à cette heure du lever

L’absence est là pour permettre de se reculer un peu et de voir aussi le cadre

Je suis là, invitée à faire ce que l’on fait quand le soleil se lève

Quelque chose traverse la matière sans même remarquer qu’elle existe

 

 

Pour Olivier Cans

Olivier C

Se répondent de non questions et de non réponses que l’on peut lire dans le désordre

­—un fac-simile de ce que nous sommes vraiment : pas si lisses que ça ; faits de bric et de broc, de cartilages et d’eau difficilement assemblés sous forme d’un visage, ou d’un nom.

(une fleur sèche) (une vieille compresse), (du sang séché), (de la boue) :

C’est le remède conçu par le Christ pour sortir l’aveugle de son aveuglement : crache ta salive et mélange la pour en faire de la boue, plaque la sur tes yeux. Et vois.

Questions toujours double posées sur les pages blanches d’un cahier que l’on tourne.
Donc je me réjouis d’être et de ne pas être de la troupe des figures masculines plus ou moins saccagées. Des gueules, des noms, plus ou moins amochées. Et pas de corps féminin. Sauf peut-être dans le fil, dans la façon dont se fait la coupure à l’intérieur de l’image, à l’intérieur du mot ; presque spontanément, comme une cellule en prise avec sa propre duplication. Et les deux parts ne sont jamais capable de se rabouter.

 

 

Pour CELINE

 

 

UN En braille, des immeubles aux fenêtres éclairées qui forment un dessin qui ne se lit qu’à la nuit tombante ou tombée et nous fait oublier que chacun passe d’une façon ou d’une autre à un moment ou à un autre du salon à la cuisine, de la cuisine à la chambre à coucher.

DEUX Le papier est froissé. Deux moitiés se répondent. Comme les parties mal accordées de nos cerveaux. Nous invitent à ne pas nous asseoir devant nos certitudes pour en faire une loi.

 

Pour Julie Blouin

Julie B

 

Il faut toucher pour savoir que le blanc est la plus opaque des couleurs et que ce qui se cache de cette façon ne cherche d’aucune façon à être démasqué. Un bâillon sur un bâillon, un bas sur un visage l’empêche de respirer.

Il y a une violence cachée dans ce qu’on ne dit pas, dans ce qu’on ne permet pas d’éclore. Une violence cachée qui essaie de sourire malgré tout, de faire une grimace, d’attirer l’attention.

“C’est moi, est-ce que tu me reconnais ?“

Peut on effacer le souvenir de l’amour ? De la haine ? De l’hommage ? De l’offense ? De la vérité ?

On ne l’efface que par le déni.

Derrière le bâillon il y a l’invisible, car ce qui ne peut pas se dire ne se voit pas non plus. On peut seulement en témoigner. Et savoir que quand un malheur existe il est souvent accompagné d’un cortège de signes. Tout d’un coup les choses nous parlent différemment.

Et nous prennent à parti.

 

 

Pour Sergiu Zancu

Serggiu Z

Invisible est ce qui est derrière. Parfois on le perçoit mieux quand on ne le voit point. Comme les tables de la loi cassées et non cassées derrière le voile du saint des saints que l’on peut contempler en soi car on connait par cœur les dix commandements qui, parait-il, permettent de construire une société où peut éclore la fraternité.

S’échappe comme une fumée un pan de vert qui en devient plus vif, plus précis et plus tendre car il monte au ciel (au moyen hélas de la crémation?)

—Tu ne brûleras pas le corps d’autrui ne fait pas partie des dix commandements.

Le cadre noir du deuil avec son bord doré, j’ai choisi de ne pas trop e regarder.

Il ne faut pas idolâtrer la mort. Ni la mort, ni les morts. Encore moins les vivants.

Et le combat des anges avec la matière. Le combat physique avec nos entêtements.

Dans un certain espace du tableau des points de révélation manifeste. Pour exemple le bleu.

 

 

Pour Morwena Georgerino

Morwena g

 

Si je mettais sur un mouchoir l’emprunte solaire de ma vue on ne verrai peut-être que mon aveuglement devant l’extrême luminescence.

Quelque chose me touche car il a été déposé au secret.

Il y a la tendresse du vivant dans l’œil qui a perdu la vue mais non pas le désir de voir.

L’œil mystique voit la vérité mystique et la décrit telle qu’il la vit.

“Faire abstraction de toutes ses pensées et prendre conscience de son corps.“

On ne ment pas de cette façon honnête.

“Écouter le lieu“.

“Le reflet de l’invisible“ c’est nous. L’image de l’invisible : encore nous.

Petite parole simple adressée aux gens simples. Pas de vaines promesses et rien de monnayé.

On invoque ici l’esprit. Et il vient. On l’apprivoise et il se rend. On accepte qu’il n’ait pas de contour et il se pose au cœur. L’importance de la prière est dans la sincérité.

 

 

Pour Agnès Loire

 

Agnès L

 

Il y a une beauté sensible qui prend son temps pour apparaître.

Logée dans les choses délicates. Qui ne se démontrent pas.

Une bulle qui ressemble à nos rêves repose dans un écrin de réalité.

Elle nous permet de voyager dans l’épaisseur de la contemplation où nous pouvons trouver une éternelle source d’émerveillement.

À droite de la terre mère un cadran de ciel, entre des voiles, tourne.

Il se pourrait que ce soit, tête levée au sommet d’une coupole, cet écrin de ciel bleu qui fait croire qu’il n’y a pas de voûte, mais bien un ciel ouvert comme un œil qui n’aurait plus de pupille à force d’être dilaté pour boire la lumière.

À gauche s’évase un bol qui contient un peu de rien du tout où se laisse encore voir la trace du passage d’un ange.

Des grains de lumière en suspension sont en train aussi de retomber. Des grains de pollen, un souhait libre de s’incarner dans une chose intelligible ou non.

Dans la forme de vase où la lumière se pose, la marque d’une écriture aussi légère qu’affirmée.

Encore le signe d’un ange.

 

 

Pour Daniel Pype

 

 

Daniel Pype

 

L’invisible est derrière toi (pas d’yeux derrière la tête)

Tes oreilles seulement te permettent de percevoir ce qu’il se passe sur ce front aveugle sans avoir à te retourner.

Le cadre est rond comme une pudeur qui nous permet de ne pas nous voir en entier

Et de ne pas voir que nous

Dans la présence du miroir, non trouver le qui-suis-je ? mais la question surprise de comment est-ce qu’on me voit ?

Une vérité qu’on apprivoise en la touchant de près, par petits bouts

Comme on déchiffre une énigme sans jamais être sûr d’avoir le dernier mot

 

 

 

Pour Monique Foy

Monique F

 

Face à cette étrange fantasmagorie, d’abord, je ferme les yeux

J’entre par là sans doute dans le domaine du rêve

Le haut et le bas y semblent inversés. Expérience à la Alice où le monde souterrain est plus lumineux que celui-ci.

Lumière factice sans doute, ou plutôt lumière spirituelle

Les oiseaux donc volent en bas

Des branches. Des visages cachés. Des choses que l’on débusque. Littéralement : qu’on tire hors du bosquet. Ce qui est digne d’intérêt est cet esprit sylvestre incarné par des elfes, ondines, ou branches habitées. Mi inquiétants, mi curieux. Qui signalent seulement qu’on entre là dans un domaine —un royaume— où nous sommes étrangers

Le règne de l’animal, le règne du végétal, le règne du minéral sont différenciés du monde humain

Ils sont porteurs d’un archaïsme plus grand

D’un pouvoir occulte, qui sait —où nos noirs démons peuvent facilement se cacher
Ce face à face avec l’obscur emboîte le pas au désir profond de laisser décanter et que ce qui demande à être explicite vienne nous manger dans la main.

 

 

Pour Téryl Euvremer

Teryl E

 

Dans la chambre mi-obscure on se projette soi

On met longtemps à apparaître

Un reflet dans une flaque d’eau verticale et sèche

Ici depuis tant d’années ma tête tremble et pèse

On n’efface son ombre qu’en éteignant la lumière dit-on

On ne devient pas transparent

Ce que l’on voit surtout c’est la transparence de la peau du tissus

(L’ombre portée n’a pas de nom)

 

 

Pour le vernissage de l'exposition l'invisible.

Vernissage

Ici à cette heure les outils sont encore sur la table. Perceuse, marteau, niveau à bulle, tourne vis, vis, règle, mètre. L’éphémère est disposé avec soin pour que chaque étape puisse être observée. Un rituel marque le début d’un cycle. Nous y participons.

Jonathan passe.

Faire ensemble à plusieurs ; faire société, commencer par être cohérent avec ce qu’on construit.

Je suis heureuse ici de prendre la lumière et de ne pas avoir besoin de la rendre ni d’en rendre compte

Ici m’éclaire ce qui me touche.

Le silence que nous partageons. L’espace que nous partageons. Le respect.

Donc peu à peu tout se familiarise. Et c’est bien. Mon travail est aujourd’hui de m’effacer. Et c’est bon.

 

L’invisible n’est pas prisonnier de nos intentions de prière.