Bien sûr qu’il va mourir le Rebelle. Oh, il n’y aura pas de drapeau même noir pas de coup de canon pas de cérémonial. Ça sera très simple quelque chose qui de l’ordre évident ne
déplacera rien mais qui fait que les coraux au fond de la mer les oiseaux au fond du ciel les étoiles au fond des yeux des femmes tressailliront le temps d’une larme ou d’un
battement de paupière.
Bien sûr qu’il va mourir le Rebelle, la meilleure raison étant qu’il n’y a plus rien à faire dans cet univers invalide : confirmé et prisonnier de lui-même…Qu’il va mourir comme cela est écrit en filigrane dans le vent et dans le sable par le sabot des chevaux sauvages et les boucles des rivières…
Gibier de morgue ce ne sont pas des larmes qui te conviennent ce sont les faucons de mes poings et mes pensées de silex c’est ma muette invocation vers les dieux du désastre.
Architecte aux yeux bleus
Je te défie
prends garde à toi architecte, car si meurt le Rebelle ce ne sera pas sans avoir fait clair pour tous que tu es le bâtisseur d’un monde de pestilence
architecte prends garde à toi
qui t’a sacré ? En quelle nuit as-tu troqué le compas contre le poignard ?
architecte sourd aux choses clair comme l’arbre mais fermé comme une cuirasse chacun de tes pas est une conquête et une spoliation et un contresens et un attentat
Bien sûr qu’il va quitter le monde le Rebelle ton monde de viol où la victime est par ta grâce une brute et un impie
architecte Orcus sans porte et sans étoile sans source et sans orient
architecte à la queue de paon au pas de cancer à la parole bleue de champignon et d’acier prends garde à toi
(Le rideau est levé.)
Aimé Césaire
Et les chiens se taisaient
Théâtre Présence Africaine
Acte 1